Sur un banc [libre]

// La jeune Cilina, qui approchait doucement de la vingtaine, était seule en ce jour, où le soleil perçait librement de l’atmosphère ses doux rayons chauds. La jeune femme était ce que l’on appelait ici, une Prêtresse, autant dire qu’elle représentait les forces de l’ordre, sans les représenter. Une once de douceur, dans un monde de brutes, ce pouvait être la définition de ce poste qu’elle occupait, sans le vouloir vraiment. Les gens l’écoutaient, l’appréciaient, et venaient même parfois chercher ses conseils, et cela la faisait sourire autant que ça l’agaçait. En ce jour, elle n’était pas vêtue comme une prêtresse, et ses longs cheveux de jais étaient remontés en un souple chignon savamment réalisé, quelques mèches retombant avec grâce derrière ses oreilles, telles des anglaises. Elle avait revêtu une jupe blanche qui volait au vent, arrivant sous ses genoux, une paire de sandalettes noires, et un débardeur bleu pâle, sa couleur préférée. C’est ainsi qu’elle était sortie de chez elle, parcourant la ville en tramway, avant de rejoindre le centre ville à pieds, paressant entre les passants, et jetant de temps à autre un coup d’œil dans les vitrines. Elle s’était arrêtée chez le libraire, déambulant entre les rayons pour trouver le prochain titre qu’elle achèterait pour compléter sa bibliothèque personnelle. Mais aujourd’hui, elle n’avait pas pris d’argent, ni même de sac à main, et c’est tout juste si elle avait pensé à prendre ses lunettes de soleil. //

- C’était l’hiver dans le fond de son cœur...

// Chantonnait-elle en sortant de la librairie principale, bercée par l’air qu’elle venait d’entendre dans la boutique du vieil homme passionné de littérature en tout genre. Elle souriait, gaiement, la joie emplissant ses yeux. Depuis quelques jours, elle restait heureuse à tout bout de chant, murmurant des paroles sans nom fréquemment, et ayant un air de musique dans les acouphènes à longueur de journée. Un élan de brise frénétique souleva quelque peu sa jupe, et elle se dépêcha pour l’empêcher de dévoiler ses cuisses aux passants éberlués. Leur souriant, certaine de ne pas avoir été reconnue, elle s’avança sur la grande place du centre ville, réservée aux seuls piétons, et en face de la fontaine aux fées enchanteresses, elle s’assit sur un petit banc en bois, fraîchement rénové, pour se perdre dans des contemplations pensives de grande envergure. Elle voyait les gens passer devant elle, sans véritablement les voir, que ce soit la vieille dame et son chien sortant du toiletteur, ou la petite fille que sa mère tirait par le bras pour rentrer à la maison, ou encore le petit garçon mangeant sa glace timidement, la main libre dans celle de son grand-père fatigué par la journée. Elle n’avait pas vu toutes ses personnes, occupée à vagabonder dans des rêves incertains. Cependant, un bruit la tira de ses songes.//

//En cette belle fin d'après-midi, Jude déambulait tranquillement sur la place principale. Il n'avait, pour une fois, rien à se reprocher, sa journée n'ayant pas été consacrée au vol, simplement au repérage de quelques endroits déserts pouvant constituer une bonne cachette. Mais il était resté bredouille.//

** Ma conscience n'est pas très chargée aujourd'hui...**

//Malgré ses déboires, il était d'une relative bonne humeur. S'étant arrêté chez un primeur, le jeune garçon avait acheté trois carottes de bonne taille afin d'apaiser son estomac, non rempli depuis le petit déjeuner, il y avait de cela presque douze heures. Il contournait les passants en souriant, croquant dans son encas avec enthousiasme. Jude atteignit presque sans s'en rendre compte un coin comportant un grand nombre de bancs, malheureusement tous occupés. Voulant s'avancer encore un peu, il se prit les pieds dans la laisse d'un cyber-chien et roula à terre, aux pieds d'une jolie jeune femme aux cheveux particulièrement noirs, qui releva soudainement la tête. //

**Oups... je dois avoir l'air ridicule, non ?**

// Le cyber-canidé lui cyber-aboyait haineusement dessus, et sa propriétaire, une femme âgée, vint le récupérer en lançant à Jude un regard ouvertement désapprobateur, auquel le malheureux répondit d'un sourire contrit. Toujours au sol, il se répandit en excuses auprès du toutou, jusqu'à ce que sa harpie de maîtresse s'éloigne. Jude se releva alors d'un mouvement souple et fit face à l'occupante du banc, qui arborait une moue plutôt amusée. //

_ "Je m'excuse de vous avoir dérangée... Enfin, le ridicule ne tue pas !!! "

// Ayant l'impression de ne faire que de s'excuser depuis quelques temps, il ressortit une carotte de sa poche où elle avait miraculeusement échappé au choc, et recommença à la mâchonner. //

// Cilina était perdue dans des contemplations intérieures, limitées en nombre, vu qu’elle ne pouvait décemment réfléchir à quinze milles problèmes en même temps ; lorsqu’elle entendit un cyberchien aboyer comme un caniche violent et en colère. Elle s’efforça, dans un premier temps, d’oublier l’animal, fauteur de trouble, pour se reconcentrer sur ses pensées, observant toujours d’un air éperdu, la fontaine, située juste devant elle. Les passants pouvaient bien passer devant elle, elle ne les voyait qu’à moitié. Ainsi donc, elle ne put réfléchir bien longtemps, le chien aboyant de nouveau. Elle secoua la tête, d’un air excédé, et baissa les yeux au sol. //

** Qu’est ce qu’il fait là lui ? **

// Se demanda-t-elle en voyant un jeune homme, allongé par terre, l’air bête, et qui semblait avoir roulé, sur on ne sait quelle distance, et on ne sait comment. Il avait seulement une laisse enroulée à sa cheville droite, et la jeune femme fit vite le rapprochement avec l’animal agressif qui lui avait démonté les oreilles. Elle poussa un soupir inaudible, comme pour recentrer ses esprits, et conserver sa bonne humeur naturelle, pour adresser un sourire désolé au jeune homme et lui tendre la main afin de l’aider à se relever. Mais celui-ci se releva sans son aide, et son sourire se transforma en une petite moue rieuse. Le jeune homme s’excusa alors, d’un air un peu contrit vers le chien et sa maîtresse ravagée par les années, avant de se retourner vers elle-même pour lui offrir une excuse pour le dérangement causé. //

- Pas de souci à vous faire, jeune homme. Asseyez vous donc, si vous le souhaitez.

// Répondit-elle dans son naturel sympathique et avec sa volonté d’aider les gens. Elle prit ses affaires pour les mettre à son côté droit, laissant alors la place de l’autre bord pour que le jeune homme puisse s’asseoir sur le banc. Il mangeait une carotte, tel le lapin gris des histoires pour enfants, chose qui la fit sourire. //

** Fallin’ apart, it’s all that I’m askin’… **

// Jude accepta rapidement la proposition de la femme, et prit place sur le côté gauche du banc. Il se fit la réflexion que la jeune fermme était décidemment bien aimable, chose étonnante dans un monde où chacun vit pour soi. //

** Pas étonnant, quand on regarde cet abruti de roi... Sa bêtise ferait presque plus peur que ses gardes... **

_ Un garde a des limites, la bêtise non.
// Sans s'en rendre compte, il venait de chuchoter un de ses dictons préférés, dicton pouvant être dangereux lorsqu'on le lâchait devant certaines personnes. Ce n'était pas difficile d'y voir la référence au roi Orfus, de l'avis de Jude, tout du moins. Et il espérait que la personne à ses côtés était, soit totalement déconnectée du monde réel et ne lui avait donc pas prêté attention, soit en parfait accord avec lui, ce dont il doutait. Mais la jeune femme fit comme si elle n'avait rien entendu, au grand soulagement de Jude. //

** Je dois être fatigué moi... Par deux fois je me suis mis en position de faiblesse. **

// Le silence était revenu sur la place, n'étant troublé que par les discrets croquements de Jude. Voyant qu'il allait bientôt finir la première carotte, il sortit les deux autres et en tendit une à sa voisine. //

_ Vous en voulez ?

// Le jeune homme s’installa à ses côtés, et elle observa ses traits de visage, si particuliers, et si ressemblants avec les habituels voleurs. Elle ne dit rien, gardant pour elle ses pensées à son propos, et lorsqu’il parla du roi Orfus, elle ne put s’empêcher de sourire. Cet homme était d’un mesquin à toute épreuve, et bien qu’elle lui montre un certain respect en sa présence, elle le haïssait bel et bien, et menait à bien la rébellion. Alors qu’il montrait un certain soulagement, vu qu’elle n’avait pas répondu immédiatement, elle sourit et tourna sa tête vers lui, plongeant son regard d’émeraude dans le sien. //

- Vos propos pourraient vous mettre en péril. Mais je suis de votre avis.

// Elle lui fit un clin d’œil amical et retourna la tête vers la fontaine, comme pour garder cette image de l’innocence pure qu’elle savait si bien mettre en scène. Il lui proposa alors une carotte, chose qui la fit sourire, et elle refusa poliment, levant la main vers lui, pour lui montrer son refus. Elle avait déjà grignoté un semblant de salade, et elle ne souhaitait pas s’encombrer l’estomac plus qu’elle ne le devait. //

- Merci, non. Vous venez d’arriver n’est ce pas ?

// Demanda-t-elle alors, d’une voix douce, et basse, comme si elle ne souhaitait pas que les passants l’entendent parler. Elle tourna alors son visage vers le jeune homme en souriant toujours, gardant cette bonne humeur naturelle. //

// Et bien si, finalement, elle l'avait repéré. Jude songea qu'il avait vraiment eu de la chance, et entama allègrement sa seconde carotte. Il n'était pas dupe de l'air de fausse innocence qu'affichait la femme, lorsqu'on était contre le roi, même en pensées, l'innocence n'étant pas de mise. La femme lui souriait toujours, et Jude se demanda comment pouvait-elle s'appeler. Mais il ne lui posa pas la question, car demander quelque chose d'aussi personnel qu'un prénom l'aurait ensuite obligé à faire de même, et il s'était déjà assez trahi pour aujourd'hui, autant limiter les dégâts. //

_ "Je ne viens pas d'arriver à proprement parler, disons qu'il s'agit d'un retour... "

// Le jeune homme compta mentalement le nombre de fois où il avait fugué pour rejoindre la ville. Une douzaine environ. Si l'on y ajoutait le jour où il avait été abandonné, et sa présence actuelle, il avait presque passé plus de temps à Salombo qu'à l'orphelinat. Plus de moments agréables en tous cas. //

_ "Vous... vous avez toujours vécu ici ? "

// Il essayait de ne pas paraître trop intéressé, mais sont ton -trop neutre, le trahit certainement. Mais, tous les voleurs faisaient de même; n'est-ce pas ? Pour ce qui était de poser des questions d'un air détaché, c'était les rois. Et Jude était bon élève. //

// La jeune femme éclata de rire, elle connaissait les habitants de cette ville mieux que personne, et seules ses sœurs pouvaient rivaliser avec cette connaissance qu’elle n’affichait guère. Ainsi, pour protéger les Salômbiens du roi Orfus, il lui fallait connaître leurs noms et leurs lieux d’habitations. Elle afficha un air contrit et regarda le jeune homme. //

- Un retour… Je vois.

// Elle lui sourit, et détourna la tête, sortant une petite flasque de sa sacoche, qu’elle porta à ses lèvres après l’avoir entrouverte. Elle but quelques gouttes du liquide qu’elle contenait, et la rangea de nouveau, avant de jeter son regard sur la fontaine, et d’en observer chaque gouttelette d’un air absorbé. Elle tentait de se rappeler le jeune homme qui lui parlait, son visage lui disant quelque chose. Peut-être se trompait-elle, mais il lui semblait avoir déjà entendu parler de lui. //

- Je n’ai pas toujours habité ici… Enfin presque. Je suis arrivée à deux ans. Et figurez vous, que je suis une des prêtresses. Alors votre visage est gravé dans ma mémoire, et je peux vous en dire beaucoup à votre sujet.

// Murmura-t-elle alors détachée de la conversation. Sa voix était neutre, calme et sans émotion, chose qu’elle maîtrisait à la perfection. Elle regarda le visage ébahi de son interlocuteur, et ferma quelques instants les paupières. //

- Enfin, je vous dis cela, mais je suis sûre que comme tout un chacun vous ne me croirez pas. A vos risques et périls.

** Comme beaucoup ici, je peux essayer de les protéger de la tyrannie du roi, mais je ne suis pas un surhomme. **

// Jude regarda avec étonnement la prêtresse qui venait de lui dévoiler son identité. Elle insinua qu'elle le conaissait, contrairement à Jude. Il fut tenté de la contredire, mais l'évidence lui sauta aux yeux : une femme aussi majestueuse ne pouvait être qu'une prêtresse. Elles seules pouvaient être aussi renseignées sur les habitants. Le Temple devait être rempli de dossiers, et l'idée que l'un d'eux devait être à son nom remplissait Jude d'un malaise oppressant. Il se sentit tout à coup prisonnier, surveillé, et eut envie de s'enfuir en courant. Mais il ne bougea pas, centrant son regard émeraude sur la prêtresse. //

_ "Le problème justement, c'est que je vous crois."

// Il avait murmuré ces mots, mais nul doute que la prêtresse l'avait entendu. Une part de lui-même lui reprochait de ne pas montrer d'enthousiasme à l'idée d'être face à une prêtresse, à une personne sacrée, donc, mais son esprit se révoltait à l'idée qu'elle lui soit aussi supérieure. Au point de le connaître sans l'avoir jamais rencontré !!! Mais, même s'il n'aimait pas son statut, la femme lui était sympathique, et il ajouta afin d'atténuer ses paroles : //

_ "Je n'aime pas me sentir surveillé, voyez-vous. Et je ne pense pas être le seul... "

** Peut-être que ça l'aiderait, si je lui donnais mon nom. Elle me dirait peut-être ce qu'elle sait de moi ? **

_ "Je me nomme Jude. Jude Mercury. Et vous ?"

// La jeune femme lui adressa un sourire radieux. Elle savait que comme tous les voleurs, il ne devait pas apprécier la surveillance, c’est pourquoi elles avaient décidé de ne surveiller personne, au contraire de certaines troupes du roi qui voulaient que tout un chacun soit surveillé, encadré, comme les enfants dans les écoles. Elle ferma ses paupières et croisa ses bras sur ses genoux. //

- Je suis ravie de voir que vous me croyez.

// Elle sourit, rouvrant ses yeux et levant la tête pour observer un avion passer. Elle le regarda jusqu’à ce qu’il disparaisse de sa vue, en pensant qu’il venait sûrement de décoller de l’aéroport de la ville. Et elle rencentra son attention sur son interlocuteur, qui disait ne pas aimer la surveillance ; comme quoi, elle avait vu juste. Elle sourit et répondit d’une voix agréablement douce. //

- Rassurez vous, vous n’êtes pas surveillé, pas le moins du monde… Disons que j’ai déjà vu votre visage… et que je l’ai mémorisé. Vous n’avez pas fait quelques séjours à l’orphelinat ? Ma mère passait souvent y apporter la nourriture… Je l’ai accompagnée, quelques fois, quand j’étais enfant, et il me semble vous y avoir vu. Et j’ai un ami qui a le même statut que vous.

** Celui de voleur… **

// Elle sourit, repensant à Rober, qu’elle avait rencontré quelques jours auparavant. Son sourire s’élargit quelque peu, et elle pensa à ses sœurs, dont l’image apparaissait dans sa tête. Elle regarda de nouveau son camarade, qui venait de lui donner son nom. //

- Je m’appelle Cilina.

_ "Enchanté alors Cilina."

// Jude se sentait un peu mieux, tout à coup. Les paroles de la prêtresse avaient légèrement calmé sa paranoïa. Légèrement, car Jude avait l'habitude d'être toujours sur ses gardes, le contraire pouvant être dangereux. Lorsqu'il entendit évoquer l'orphelinat, bons nombre de souvenirs désagréables l'envahirent. Il tenta de garder son calme, les traits de son visage se brouillant sous l'effort. Comme à chaque fois qu'il y repensait, il avait envie d'hurler, de se révolter contre l'injustice y régnant, contre l'hypocrisie ambiante, contre l'uniformisation des enfants et les phases de "dressage" ; et il se prit à détester Cilina pour lui avoir rappelé tant de choses. //

_ "Oui, j'y étais."

// Il voulait lui reprocher ses paroles, lui montrer à quel point ça l'avait blessé, lui dire qu'on ne jettait pas aux gens leur passé à la figure. Mais, craignant la violence de ses mots, il se tut et se recroquevilla sur lui même, enserrant ses genoux de ses bras. Son souffle était irrégulier, et il avait considérablement pâli, semblant particulièrement jeune et vulnérable, chose qu'il détestait. //

- Je suis désolée de vous avoir blessé…

// Murmura-t-elle lorsque le jeune homme se recroquevilla sur lui-même. Il avait pris ses genoux entre ses bras, et semblait légèrement paniqué à l’idée de l’orphelinat. Celui-ci n’existait plus à présent, car elle l’avait fait supprimer, préférant d’autres méthodes à celui-ci. Elle posa une main sur l’avant bras de Jude en souriant tristement. //

- Sincèrement. La pensée de ma mère me fait cet effet. Elle a quitté ce monde en se battant pour la suppression de cet établissement…

// Elle ferma ses paupières, restant quelques instants dans cette position, pour montrer au jeune homme qu’elle était désolée, et qu’elle était présente dans sa douleur, avant de retirer sa main et de s’appuyer contre le dossier du banc. Elle semblait vulnérable, mais seulement pendant quelques secondes ; reprenant bien vite contenance par la suite. Elle afficha un triste sourire devant la douleur de l’adolescent devenant adulte, et elle soupira, envahie par une vague de solitude triste. //

** Je suis désolée, mais il ne semble pas y croire, et sa colère est là, je la ressens… Que faire ? **

- Voulez vous bien m’excuser ?

// Jude releva légèrement la tête en entendant la prêtresse s'excuser. Il était au bord des larmes et trouvait cela particulièrement stupide. Il n'éprouvait plus aucune animosité envers la prêtresse, la tristesse et la colère envers lui-même suppplantant tout autre sentiment. //

** Bon ça suffit maintenant. Tu ne vas pas te mettre dans cet état à chaque fois qu'on en parle. Tu n'es plus un gosse, depuis longtemps, alors arrête ça !!! **

// Le jeune garçon se mit une gifle mentale, avant de s'obliger à se rasseoir normalement sur le banc. Il questionna la prêtresse d'une voix incertaine. //

_ "C'est votre mère qui l'a fait fermer ?"

// Voyant l'air à la fois triste et désorienté de la jeune femme, Jude se sentit égoïste, et ingrat. Sa mère était morte, apparemment. Il lui sourit, ayant enfin retrouvé la maîtrise de lui-même. //

_ "Alors, je dois vous remercier. Pour votre mère. Merci beaucoup. "

// En voyant le jeune homme se redresser et reprendre ses esprits, Cilina, que le remord et la tristesse avaient envahie à son tour, eut un petit sourire, au coin des lèvres. Elle poussa un léger soupir et croisa ses jambes, pour reprendre contenance. Son camarade d’assise semblait toujours aussi désorienté, mais le calme semblait pouvoir se lire sur son visage, un peu plus apaisé que quelques secondes auparavant. //

** Qu’ai-je fait… Tu es une abrutie Cilina ! **

// Elle serra ses poings sur ses cuisses, observant une mouette perchée sur le haut de la fontaine. Elle poussait des petits cris qui ne parvenaient même pas aux oreilles de la jeune femme, perdue dans des pensées obscures. C’est alors que la voix de Jude, la remerciant, retentit dans ses tympans. Elle sursauta presque, et tourna la tête vers le jeune homme, d’un air contrit. //

- Il n’y a pas lieu de nous remercier. Ma mère a fait ce qui lui semblait juste, et ça l’est, et pour cela, le roi l’a…

// Elle frissonna, les mots ne pouvons sortir de sa bouche. La mémoire de cet instant de douleur était dure pour elle, celle-ci étant encore vive et rafraîchie à chaque instant. Perdre sa mère à quinze ans n’est pas une chose qui s’accepte facilement, et elle ne fit pas exception. Elle détourna le regard, et se reprenant, murmura, le trouble perçant encore légèrement sa voix cristalline.. //

- C’est de l’histoire ancienne…

// Cette fois, c'est Jude qui avait l'impression de mettre les pieds dans le plat. Il serra les dents, se sentant particulièrement inutile. Il ignotait totalement ce que ça pouvait faire de perdre ses parents, lui qui ne les avait jamais connu, ou si peu. Bien sûr, ça lui manquait parfois, mais il avait appris à s'en passer, et à vrai dire, ne s'en préoccupait pas. Cela faisait partie des choses impossibles à changer... //

_ "Je suis vraiment navré, mais je maintiens mes remerciements. La plupart des gens fortunés auraient préféré fermer les yeux plutôt que de se battre... Votre mère devait être une personne très courageuse."

// Il lui sourit, sincèrement ému à la pensée du sort de cette inconnue. Et la dignité de la prêtresse qui se tenait devant lui l'impressionnait. Deux enfants se pourchassaient en riant, bousculant les passants avec insouciance. Jude soupira, en songeant qu'il ne pouvait pas faire de même. Encore que... Il sourit, l'air malicieux. //

** En rentrant, je fais une partie de ballon avec les gars... **

// Une question lui brûlait les lèvres, mais il hésitait à la poser. La timidité n'étant pas son fort, il céda bien vite à la tentation. //

_ "Puisque vous êtes une prêtresse, vous devez protéger la population ? Comment faites-vous à trois ?"

// La jeune femme lui adressa un sourire poli, l’image de sa mère brouillait ses yeux. Elle ne dit rien, serrant les dents, et levant la tête devant la vie. Elle devait être fière d’elle, à présent, du moins, Cilina espérait que sa mère la voit pour qu’elle puisse lui dire un jour « ma fille, tu as été forte ». Elle tourna la tête vers Jude. //

- Mes parents ont fait notre fortune par la force de leurs bras, pour aider les plus démunis. Je suis fière d’être leur fille, et je leur passerai vos remerciements. Mon père sera heureux de savoir que certains approuvent leur choix.

// Murmura-t-elle en un sourire pâle, comme éclairé par la défunte qui vivait dans son cœur. Elle frissonna légèrement, et tourna la tête pour voir d’où provenaient les éclats de rire qu’elle entendait. Des enfants, insouciants, heureux, et qui profitaient de la vie. La jeune femme avait envie de leur dire de profiter de leur enfance, de s’amuser autant qu’ils le pouvaient, et de ne se préoccuper de rien, la vie étant trop dure lorsqu’on arrivait à l’âge adulte. //

- Effectivement, la protection est notre devoir… Nous sommes bien jeunes et parfois il est difficile de l’assurer, mais nous faisons de notre mieux… Notre instinct nous guide, des gens nous aident…

// Elle afficha un triste sourire, regrettant l’insouciance de l’enfance et de l’adolescence de découvertes. La réalité était bien trop présente. //

// Jude n'avait jusqu'alors jamais réfléchi à la difficulté de la tâche des prêtresses. Quel est le destin de celles qui sont au service du peuple dans une dictature ? Il songea qu'elles avaient dû mûrir très vite, pour assumer toutes ses contradictions, et les respecta un peu plus pour cela. //

_ "Je vous proposerai bien mon aide, mais j'ai peur de ne pas être très utile... Toujours est-il que si vous avez besoin de mes services..."

// En tant que membre de la population, Jude avait réellement envie d'aider ses semblables, avec la fougue de la jeunesse. Ayant dans la société une place à part, il voulait lui être utile d'une autre manière qu'en dévalisant ses membres les plus privilégiés. Mais sans pour autant renoncer à son identité. Il précisa donc à la jeune femme. //

_ "Ce n'est pas un serment d'alllégeance, juste une promesse que je tiendrais..."

// La jeune femme n’avait pas encore vingt ans, et elle était déjà aussi mature qu’une adulte, avec l’innocence de la jeunesse, et le rire pur encore d’une fillette joueuse. Elle avait ses instants de folie enfantine, lorsqu’elle le pouvait encore, mais restait immobile et impassible face aux problèmes de la société sous la tyrannie du roi dictateur. Elle afficha un sourire et ses yeux pétillèrent de vigueur. //

- Je vous en remercie, … Jude.

// C’était la première fois qu’elle l’appelait par son prénom, et ce, avec le ton d’une affection amicale, remplie de douceur. Elle lui adressa un sourire, et leva la tête vers les rayons du soleil qui apparaissaient, de derrière un bâtiment d’une taille incommensurable. Elle ferma ses paupières, comme éblouie par une beauté intacte, et croisa ses bras sur sa poitrine. //

- Je me doute bien que votre condition ne puit permettre un serment d’allégeance, et seulement des promesses… Rassurez vous, je connais bien ce genre de propositions, et quelques courageux m’en ont fait part…

// Elle repensa à la force psychique de ses parents qui avaient bravé les lois à leurs risques et périls, à l’argent qu’ils avaient amassé pour aider les plus démunis, et aux multinationales qui leur avaient finalement confié des missions. Encore aujourd’hui, elle se servait souvent de cette monnaie pour apporter son aide. Elle perdit son regarda dans la fontaine. //

- Si il y a quoique ce soit que vous puissiez faire, je vous en ferai part… Avez-vous quelques qualités d’espionnage comme certains de vos camarades ?

// Le jeune voleur était heureux que sa proposition (désintéressée pour une fois) ait été acceptée par Cilina. Il se sentait presque adulte, sans l'être tout à fait, comme tout ceux qui ont décidé de vivre en dehors des lois. Il faut une part enfantine, pour penser qu'on puisse s'en sortir de cette manière, beaucoup d'espoir. Mais Jude y croyait, toute son énergie était mobilisée pour cela, et il survivait. //

_ " D'espionnage ? Je pense... Je suis assez discret et passe facilement inaperçu, comme tout les autres. Et je n'ai pas trop de mal non plus à m'attirer la confiance des gens... "

// Jude eut un sourire furtif en songeant à toutes ses futures victimes que son air inocent avait mis en confiance. Ce genre de chose l'amusait, il amait tourner en ridicule la condescendance de certains, de la manière la plus indigne possible. //

_ "En vérité, il est possible que ce genre de choses me plaisent plus que la normale..."

** Je suis de ceux qui préfèrent la méthode aux résultats. **

// Elle se retourna alors complètement vers son interlocuteur, prenant son sac sur ses genoux, par esprit de sécurité, même si les Prêtresses étaient à l’écart de tous les petits crimes crapuleux possibles. Elle s’assit en tailleur, comme une enfant, sur le banc, s’appuyant sur le coude, sur le dossier. //

- Alors là… Ca m’intéresse bien…

// Elle eut un petit sourire, et ses yeux se plissèrent de bonheur. Elle éclata d’un rire franc, comme s’il avait raconté une blague amusante, et les passants s’arrêtèrent quelques instants pour la regarder, l’air ahuri se lisant sur leurs visages ébahis. Elle leur fit un petit signe de la main, telle une adolescente heureuse, et se tourna vers le jeune homme. //

- Vous pourriez sans doute nous aider, ultérieurement… Des petits pigeons se feront sûrement prendre... Je n'en ai aucun doute !

// Dit-elle alors, à mi-voix, pour ne pas que les passants l’entendent, montant les baffles lorsqu’elle ajouta, d’un air mutin, toujours avec ce visage d’adolescente qui trompait si facilement les naïfs qui se remirent alors à leurs activités, comme soulagés de voir que son état n’était du qu’à une bonne plaisanterie. //

- Elle était bien bonne !!!

** Nous aurons sûrement des missions à lui confier… On trouvera bien quelque chose qui pourrait nous aider ! **

// La prêtresse semblait avoir retrouver sa bonne humeur, les passants se retournèrent en l'entendant rire. Les yeux de Jude pétillèrent, la fausse innocence de Cilina, faisant écho à la sienne. Il hocha la tête en souriant pour rentrer dans son jeu, un peu surpris par la promptitude et l'enthousisme manifeste avec lequel elle traitait sa proposition. Mais il ne le regrettait certainement pas. //

_ " Vous savez où me contacter ? Il m'arrive de disparaître pendant plusieurs jours..."

// Il lui adressa un clin d'oeil, n'ayant pas besoin de plus expliciter sa question. Il pouvait bien sûr lui donner l'adresse de son appartement, mais il ne voulait pas mêler ses trois autres colocataires à ce genre d'affaires. Ils avaient l'habitude de ne pas poser de question quant à la manière dont leur ami se procurait son loyer, mais pour leur propre sécurité, il valait mieux qu'ils ne sachent rien. Il résuma son cheminement. //

_ "Je vis en colocation."

// La jeune femme agita la main en direction des passants, comme pour les saluer, et sous leurs regards éberlués, se détourna vers Jude. Elle faisait comme si elle le connaissait depuis longtemps –ce qui était vrai malgré le temps qui était passé depuis leur dernière rencontre-, et comme s’ils étaient amis de longue date. Elle sourit lorsqu’il lui demanda si elle savait où le trouver. //

- Je pense que malgré la colocation, et le fait que vous ne souhaitez pas mêler vos camarades à cela…

// Elle afficha un sourire radieux, toujours en gardant cette facette de sa personnalité complexe, de jeune fille joueuse et rieuse, et après avoir marqué une courte pause, pour trouver les bons mots, elle ajouta. //

- Je devrais pouvoir vous retrouver facilement… Disons que j’ai quelques contacts de votre milieu, et… Je crois que vous avez eu l’opportunité de rencontrer Yu’… Si ce n’est pas moi qui vous trouve, ce sera elle.

// Elle fit un clin d’œil au jeune homme en riant. //

// L'allusion à Yushe, une autre prêtresse que Jude avait rencontrée récemment le fit sourire joyeusement. Une seconde rencontre avec la jeune fille lui ferait très plaisir, même s'il s'agissait d'actions de résistance. Où peut-être justement à cause de cela ? Bon, mais ça ne le rassurait pas quant à la sécurité de ses amis.... //

_ "Votre soeur ? je serait ravi de la revoir... "

// Avisant la montre d'un écolier qui passait à toute allure devant le banc, Jude s'aperçut qu'il était déjà tard, et décida de prendre congé, voulant avoir le temps de faire une partie de ballon avec ses amis avant que la nuit ne tombe. Comme à chaque fois que le soir approchait, il se sentait étrangement excité, l'ombre offrant de multiples possibilités de dissimulation. Il se leva, le plus naturellement qu'il put, et sourit à la prêtresse. //

_ " Cilina, je vais vous laisser... Le soir tombe."

// Il lui fit un clin d'oeil et attendit qu'elle lui réponde, puis hocha la tête et se dirigea vers le centre de la place. Une fois qu'il eut atteint l'exact milieu, il se fondit avec habileté dans la foule, et regagna son logis en faisant de nombreux détours, par mesure de précaution, autant que par goût. //